dimanche 15 octobre 2006

Marie Adrien Lavieille (1852-1911)




Marie Adrien Lavieille est le nom d’artiste que Marie Petit a pris après son mariage en 1878 avec le peintre Adrien Lavieille, nom sous lequel elle signera désormais ses tableaux et exposera lors des différents Salons. Elle était née à Paris, le 22 novembre 1852, fille de Françoise Adolphine Bouté et de Jean-Jacques Petit, qui dirigeait une entreprise de décoration. Ses parents avaient une certaine fortune, et étaient en relation avec le milieu artistique, notamment avec le peintre Puvis de Chavannes. Marie hérita de sa mère une distinction naturelle, et, jeune fille, elle était appelée dans le quartier de Montmartre où sa famille habitait, la "duchesse d'à côté".
Elle est extrêmement touchée par le décès de sa mère en 1859, survenu alors qu'elle était encore une enfant (elle n'avait que 6 ans et demi…). Elle sera désormais élevée par une gouvernante, Marguerite, qui lui sera très dévouée, et pour qui elle aura beaucoup d'affection, mais qui ne pourra remplacer sa mère. Son père l'aidera dans son éducation artistique, mais il ne s'occupera pas toujours beaucoup d'elle - et plus tard (en 1880) il se mariera de nouveau.
Cette enfance difficile marquera Marie Petit, qui a une très grande sensibilité, et chez qui se développe une tendance à la tristesse. Ainsi écrira-t-elle le 18 janvier 1876 à son futur mari, Adrien Lavieille : Je suis une nature malheureuse. Même au sein du plus pur bonheur, j’ai peur de trouver encore moyen de me créer des souffrances.
Marie se tourne vers l'art. Elle est très musicienne, joue au piano très régulièrement, et plus tard elle aimera à représenter dans ses tableaux cet instrument, ou des personnes en train d'y jouer, sa fille en particulier… Mais c'est la peinture qui l'attire réellement, dans laquelle elle peut exprimer ses qualités, et sa sensibilité extrême. Et la peinture sera tout pour elle : Pour rien au monde je ne renoncerais à ma peinture : c'est ma vie, mon bonheur, l'espoir de tous les rêves de mon enfance et de ma jeunesse. Depuis que j'ai eu l'âge de connaissance, je ne me souviens pas d'une minute où je n'ai souhaité d'être artiste !, écrit-elle à Adrien Lavieille, le 3 octobre 1876. Son autoportrait, peint à 18 ans, montre un très beau visage, sérieux, et est digne d'un grand maître : il sera d'ailleurs présenté au Salon de 1876 (Portrait de M. P.). Car elle a beaucoup de talent, en particulier pour les portraits, et pour les natures mortes. Mais elle a aussi un sens particulier de l'observation, et les croquis qu'elle fait dans un carnet lors du siège de Paris par les allemands, et de la Commune en témoignent.
Elle retrouvera cette sensibilité artistique chez Adrien Lavieille, qu’elle a rencontré vers 1872 chez des amis de son père, et qu’elle épousera le 10 avril 1878. Adrien Lavieille est né en 1848, fils aîné d’Eugène Lavieille, qui était un peintre reconnu de l’École de Barbizon et qui fut élève et ami de Corot. Comme son père, Adrien se tournera vers la peinture de paysage. Cependant, pour des raisons financières, il devra toute sa vie exercer le métier de décorateur et restaurateur, et regrettera toujours de ne pas avoir pu consacrer sa vie à la peinture…
Adrien admirera beaucoup ce que fait Marie, et il l'encouragera, comme dans cette lettre écrite le 7 mai 1876, avant leur mariage : J'ai été très heureux le jour du vernissage au Salon quand j'ai aperçu votre tableau [il s'agit de son autoportrait]. J'ai été réellement enchanté de sa tenue. Pour moi, c'est un des meilleurs portraits de l'exposition. Quelques amis m'en ont parlé et ont confirmé ainsi mon appréciation… Vous ne pouvez manquer de prendre une place sérieuse un jour parmi les peintres… Mon impression quand j'ai vu votre œuvre a été très forte. Ça m'a fait autant de plaisir que si j'en avais été l'auteur. Le père d’Adrien, Eugène Lavieille a une grande estime pour elle et pour son talent, la soutenant lors de présentations aux Salons, comme en témoignent des lettres qu'il lui écrit.
De même que son mari, Marie ne pourra pas exercer son art de façon exclusive comme elle l’avait rêvé. Elle doit travailler comme professeur de dessin à la Ville de Paris, et donner des leçons particulières. De plus, elle est très prise par la vie de famille, et ce d’autant plus qu’Adrien est souvent absent en province du fait de travaux de restaurations et de décorations. Toutefois, elle continue à peindre, à dessiner, et en réalité exposera à plusieurs reprises, lors des Salons officiels (le Salon, devenu en 1881 le Salon des Artistes français), à ceux de l'Union des Femmes peintres et sculpteurs, et aussi en province (Douai, Le Havre, Amiens). Elle réalise des portraits (peintures à l’huile ou dessins) de son entourage familial - son père, Marguerite, qui l’a élevée, Adrien, leurs deux enfants, Pierre, né en 1879 mais mort très précocement, en 1885, à l’âge de 6 ans seulement, Andrée, née en 1887, qui plus tard deviendra aussi artiste peintre, Joseph, son beau-frère -, d’amis, même parfois des croquis dans le train… ; des natures mortes, bouquets de fleurs en particulier, mais également des scènes d’intérieur, ou d’extérieur, notamment en Normandie et en Bretagne… Cependant, son inspiration ne sera plus tout à fait la même après la mort du petit Pierre, qui l'atteint profondément et dont elle ne se remettra jamais vraiment…
Deux thèmes particuliers existent chez elle : l’enfance, les intérieurs. L’enfance, dans ses portraits d’enfants, en particulier du petit Pierre et d’Andrée, et bien sûr le tableau Maternité, exposé au Salon de 1891. Elle est mère, et probablement d’autant plus qu’elle a eu une enfance difficile, et qu’elle et Adrien ont perdu leur petit Pierre alors qu’il n’avait que 6 ans… Les intérieurs - qu’elle peint dans 22, rue des Fossés Saint Jacques : coin du salon, Romance sans paroles, L’anniversaire, -, peut-être y recherche-t-elle une vie de foyer, une intimité familiale, qu’elle n’a pas beaucoup connues dans son enfance, du fait du décès de sa mère alors qu’elle était bien jeune et que par la suite son père ne s’est pas toujours beaucoup occupé d’elle, – et qu’elle ne connaîtra pas tout le temps une fois mariée, en raison des fréquentes absences d’Adrien. Il s’agit aussi d’une des tendances de son époque, comme on peut le constater dans les catalogues des Salons, mais de plus d’un écho d’une certaine bourgeoisie dont elle est issue.
Elle aura eu une vie difficile : son enfance [elle écrit le 20 août 1875 à Adrien : Ne vous effrayez pas, ami, de cette soudaine tristesse. J'ai souvent été ainsi. Est-ce le souvenir des mauvais jours, de la tendresse qui m'a manquée, de bien des chagrins seuls souvenirs de ma jeunesse solitaire et qui ont assombri mon caractère ? Je ne sais mais il m'est souvent arrivé de pleurer ainsi longuement sans une véritable cause.], une longue attente avant son mariage du fait d’un manque d’argent (Adrien n'est pas très riche...), les préoccupations financières qui émailleront la vie de la famille, la mort du Petit Pierre, les absences répétées et prolongées d’Adrien, amené à partir en province pour ses travaux [dans une lettre à Adrien, en 1890 : Je voudrais pouvoir te donner du courage mais j'en manque moi-même en pensant aux longs mois de séparation qui nous restent encore à passer. Je ne peux même plus les compter !], et le fait qu’elle n’ait pas pu peindre comme elle le voulait... Tout ceci contribue à exacerber sa sensibilité, et accroît son manque de confiance en elle…
Elle est nommée Officier d'académie en 1901.

Peintre intimiste, Marie Adrien Lavieille l'a été. Mais, comment la définir sur le plan des mouvements de l'art ? Dans l'"École Française du XIXe siècle" ? Appellation bien floue, dans laquelle peuvent être "regroupés" des artistes comme elle, qui sont en marge des mouvements qui leur sont contemporains tels l'École de Barbizon dont son beau-père, Eugène Lavieille, a fait partie, ou celui des Impressionnistes - des artistes qui n'ont pas cherché une innovation picturale, et qui en fait ont continué un certain "classicisme" français, s’exprimant en particulier dans trois domaines : l’art du portrait, celui des natures mortes, et les scènes composées…, où ils ont pu exprimer tout leur talent, leur sens de la composition, du dessin, de la couleur, leur sensibilité…
Marie Adrien Lavieille décède le 13 mars 1911. Elle n'avait alors que 59 ans...
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Peintures et dessin présentés :
- Autoportrait (fait à 18 ans), huile sur toile (52 x 44,3 cm)
- Le petit Pierre, huile sur toile (44 x 36,5 cm)
- Pivoines, huile sur toile (54,4 x 44,4 cm)
- Le petit Pierre en train de dormir, croquis (31,5 x 24,5 cm)
Photographie de Marie Adrien Lavieille, en 1908
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Liste des expositions :
1876 Salon : Portrait de M. P …
1877 Salon : Écolier florentin
1878 Salon : Portrait de Mlle ***
1879 Salon : Portrait de M. A. L... ; Fleurs et fruits d'automne
1879 Société des amis des arts de Douai : Fleurs et fruits d'automne (Salon de 1879)
1880 Salon : Portrait de M. E. L… ; Portrait de Mme E. C … ; Portrait, fusain (x 2)
1881 Salon des Artistes Français : Nature morte
1882 Cercle artistique et littéraire de la rue Volney
1882 Salon des Artistes Français : Portrait de M. P …
1883 Salon des Artistes Français : Portrait de M. P. Deshayes; rôle de Lagardère dans le Bossu
1884 Salon des Artistes Français : L'anniversaire ; Portrait de Mlle Emilie T.
1885 Salon des Artistes Français : Cours de dessin dans une école communale de jeunes filles, à Paris
1885 Société des amis des arts du Havre : Femme au puits, souvenir de Normandie
1886 Salon de l'Union des Femmes Peintres et Sculpteurs (UFPS) : Moissonneuse ; Le vieux puits, souvenir de Normandie
1886 Salon des Artistes Français : La mère Tanisse ; Sortie de classe (reproduction p. 197 du catalogue).
1887 Société des Amis des Arts du département de la Somme, 28ème exposition : La cigale et la fourmi
1887 Société des Amis des arts du Havre : Une maison hospitalière (Souvenir de Normandie)
1888 Salon de l'UFPS : Une maison hospitalière (Souvenir de Normandie) (aquarelle)
1888 Salon des Artistes Français : L’aïeule et l’enfant
1889 Salon de l'UFPS : La mère Tanisse ; L'aïeule et l'enfant (Contemplations de Victor Hugo) ; Fleurs et fruits d'automne ; Fleurs (aquarelle) ; Portrait du petit Robert (aquarelle)
1889 Salon des Artistes Français : Un importun
1890 Salon de l'UFPS : La charité
1890 Salon des Artistes Français : Prière pour l'absent
1891 Salon de l'UFPS : Prière pour l'absent
1891 Salon des Artistes Français : Maternité (reproduction p. 291 du catalogue)
1892 Salon de l'UFPS : Maternité
1893 Salon des Artistes Français : Romance sans paroles (reproduction p. 31 du catalogue)
1894 Salon de l'UFPS : Romance sans paroles (pastel)
1894 Salon des Artistes Français : Jour de fête (reproduction p. 21 du catalogue)
1894 Société des amis des arts de Douai : Romance sans paroles
1896 Salon de l'UFPS : En villégiature ; Un coin de mon jardin
1896 Société des amis des arts de Douai : Le goûter (souvenir de Bretagne)
1897 Salon de l'UFPS : Prière à la Vierge
1898 Salon de l'UFPS : La mère Jaquette
1898 Société des amis des arts de Douai : Intérieur normand
1901 Salon de l'UFPS : Un vieux carrier aveugle (Ille-et-Vilaine)
1902 Salon de l'UFPS : La mère Thérèse
1903 Salon de l'UFPS : Portrait de Mlle A.
1904 Salon de l'UFPS : Portrait de ma fille
1905 Salon de l'UFPS : Intérieur
1906 Salon de l'UFPS : Portrait
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Des renseignements complémentaires peuvent être trouvés dans trois ouvrages :
Une époque vue par une femme peintre, Marie Adrien Lavieille (1852-1911)
par Henri Cambon et Françoise Cambon (2009, éditions Atlantica)
Adrien Lavieille (1848-1920), peintre de la campagne
par Françoise Cambon et Henri Cambon (2008, éditions Atlantica)
Dans le sillage des impressionnistes, Andrée Lavieille (1887-1960)
par Françoise Cambon et Henri Cambon (2007, éd. Atlantica ; 2013, Lelivredart)

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